Platys Gialos, 1980

Platys Gialos, 1980
Charlotte Mont-Reynaud, Platys Gialos, Mykonos 1978

lundi 4 janvier 2016

Et un jour il m'a dit

"Ça commence où la poésie, ça s'arrête où ?". J'ai pas su lui répondre. J'ai toujours manqué de répartie, depuis toute petite. Le mot juste, c'était pas moi qui l’avais. C'était l'Autre. C'était celui qui avait le verbe haut, celui qui voulait toujours avoir raison. Celui qui volait toute l’attention. Toute la place. On apprend à fermer sa gueule dans ces cas-là. On n’a pas le choix. Ceci étant, le trop plein trouve toujours comment sortir. Et quand il sort de ma carcasse, il... Me tétanise. M'effondre. Me fracasse. Ça sait pas faire autrement. C'est mon corps qui se fissure. Se fracture. Il tombe au sol et puis voilà. Ça fait longtemps. Depuis toute petite. Ça porte un nom mais on s'en fout. Ça se soigne pas. On vit avec, c'est tout. Donc répondre, la plupart du temps, je sais pas faire. Souvent rien ne sort ou alors ça vient un peu à côté. Un peu de traviole. A côté de mes pensées. A côté de ce que je voudrais dire. De toute façon, j'ai toujours peur de dire des conneries. Mais cette question est vraiment difficile, vous voyez ? La plupart du temps, je me noie dans un verre d'eau. Mais là, c’était une question de grand, vous comprenez ? Une question magistrale. Une question en lettres capitales. C'est con parce que j'aurais voulu lui dire tant de choses à cet homme quand il m’a posé cette question. Mais bon, j'étais au volant aussi, c'était pas aisé. Vous comprenez ? Oui, je sais, je me trouve toujours des excuses. Je suis douée pour ça. C'est ce que je sais faire de mieux je crois. Pour ne pas faire. Pour ne pas dire. Pour ne pas me tromper. Des excuses à tout pour ne pas vivre. Ou pas vraiment. Pour ne pas me risquer. Pour ne pas me tromper. Pour ne pas me blesser. Pour continuer à vivre en apnée. Pour vivre en silence, sans déranger. Pour vivre petitement. En sous-marin. En rase motte. En observant. Au plus près des petites choses. Des petits débris. Parfois pourtant je me sens grande. Pas seulement avec le regard que cet homme porte sur moi. Qui porte loin. Parce que c'est la poésie qui me porte. Depuis longtemps. Depuis toujours. Qui me fait tenir debout. Ça non, je ne lui ai pas dit. J'ai oublié. Je n'ai pas osé lui parler de mon amant. Ça l'aurait peut-être gêné ou peut-être qu'il n'aurait pas compris. Et j'aurais pas eu envie de lui expliquer davantage. Parce que c'est bien aussi quand on comprend pas tout ou mal ou des années après... Parce que c'est joli les malentendus. Parce qu'on laisse infuser les mots. Qu'on laisse la fugue faire son chemin. Sans qu'on le sache. La grâce de la poésie touche de mille façons. Moi, tout me touche, tout m'érafle, tout me hérisse. Je la vois partout. Dans les nuages, dans le vent, dans la feuille tombée sur un trottoir, dans une flaque d'eau, dans les branches qui portent un nid, dans les moutons de poussière de l’appartement, dans la page blanche qui me murmure ses silences, dans le bout de scotch où mes doigts se collent pour laisser leur empreinte. La poésie est cet amant sans âge qui ne [me] comblera jamais vraiment. Elle est insaisissable. Indéfinissable. Elle est la vie. Elle est nuage, elle est vent, elle est feuille, elle est poussière, elle est mot, elle est silence, elle est fragment. Je lui courrai toujours après. Je n'en serai jamais rassasiée. J'aurais toujours soif d'elle. Il n’y aura jamais de repos. Dans la beauté. Dans l’émerveillement. Je tenterai toujours de l’étreindre maladroitement. Comme je peux. Avec mes petits mots. Mes petites dents. Mes petits bras. Elle sera toujours à mes côtés. J'aurais toujours besoin de ponts pour rejoindre le ciel, les fragments qui s'en échappent. Qui nous dépassent et nous volent le mot juste. Justement.

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