Platys Gialos, 1980

Platys Gialos, 1980
Charlotte Mont-Reynaud, Platys Gialos, Mykonos 1978

lundi 8 novembre 2021

Mané #Lectureetrésonnances

Il est question de parcours. D’histoires. De contes. De rêves. De création. De courage. De persévérance. De corps. De danse. De mots.

« Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous » disait Paul Eluard. Chaque fois que quelqu’un croise notre route, il porte un message pour nous. Ce livre était dans ma « pile de livres à lire » depuis son achat, le 30 juillet 2020. Je ne l’ai lu que ce week-end. Pourquoi ? Sans doute parce qu’il y a un moment pour chaque livre, pour chaque rencontre. Ce livre, posé là, m’attendait. Il attendait juste son moment.

Je suis embêtée quand « rien ne se passe » quand je lis un livre (ça arrive parfois, malgré moi, malgré ce que je voudrais y trouver, malgré toute l’intention de l’auteur). Avec « Mané », il s’est passé quelque chose.

J’ai ressenti une immense admiration pour le personnage de Doundounba. Son parcours est sidérant (vu de ma fenêtre). Cet ancien enfant talibé (je ne connaissais pas le terme, ni ce que ce mot recouvre. En le lisant, c’est le mot « taliban » qui résonne à mes oreilles avec la terreur qui l’accompagne). Ce qui arrive aux enfants talibés au Sénégal est du registre de la terreur... Ils suivent l’enseignement d’un maître coranique (un marabout) et sont exploités et forcés à mendier. Ils subissent de mauvais traitements (passage à tabac, abus physiques, agressions sexuelles, viols, séquestrations…). Doundounba ne restera pas dans cette daara (école coranique) et s’enfuira. Grâce à la danse et à beaucoup de courage, d’abnégation, d’obstination, il ne lâchera pas son rêve.
Ablaye Sarr lui disait « Si tu crois en toi-même, tu peux aller très loin » et Doundounba n’a jamais cessé de se répéter cette phrase, comme un mantra. Comme de bonnes graines semées dès l’enfance, malgré les obstacles, la pauvreté, l’illettrisme. Tout ce qui, pour le quidam, serait des murs infranchissables, Doundounba les franchis, un à un, avec une foi désarmante.
Sans doute savait-il déjà qu’il faut se faire confiance et créer ce qui résonne en soi. Pour lui, l’évidence, c’était la danse, la danse, la danse. Encore et toujours.

J’ai eu la chance de voir Ibrahima Kandé (danseur et chorégraphe) danser sur scène lors de la représentation de « coPeaux » de Laurie Wilbic, à Peynier. A travers la danse afro-contemporaine d’Ibrahima Kandé, la musique électro-organique et la poésie charnelle de Laurie Wilbic, cette lecture performance porte en elle force, puissance, sensualité, avec beaucoup d’élégance et de retenue.

« Mané », le Sénégal comme toile de fond.
Sénégal qui résonne fort à mon cœur, par une belle amitié de plusieurs années, qui s’est achevée de manière idiote, sur un malentendu.
Sénégal où j’ai fait voyager mon personnage dans « Joies et peines saisonnières » en 2017/2018, à travers les ateliers d’écriture de Céline Tillier, de la Cie du Cèdre.
Sénégal où je ne suis jamais allée alors que j’avais programmé de faire un voyage de 3 semaines en Casamance - en 2006/2007 ? - (avec cette ancienne amie chère Sénégalaise, où j’aurais pu vivre au plus près de la vie là-bas).
Sénégal qui me parle de mon « tonton tuyau d’poêle » qui y avait élu domicile la moitié de l’année. J’aurais aimé connaître son visage et sa vie, là-bas. Mais il a été emporté par une maladie foudroyante. Un mauvais sort…

J’ai été bouleversée par le personnage d’Halima, même si je n’ai pas vécu le drame qu’elle a traversé, il entre en résonnance avec ma propre histoire et fait vibrer des fréquences très intimes de mon être.
Halima trouve refuge, depuis l’enfance, dans les mots, les rêves, qu’elle pose sur ses carnets. Halima et les mots, les mots, les mots.
Toujours revenir aux mots et aux livres qui sauvent. A la vie. Transcender l’existence.
« Adrien ou la colère des bébés » est également un livre qui m’attend.
Halima « sème des mots pour ne pas se perdre dans la nuit, pour retrouver son chemin, jusqu’à soi. ».
Halima dira « Ecrire, cordon imaginaire, les mots ».
Ou encore « Ecrire est une question de survie. Lire, écrire : une boulimie de mots. ». Comme j’aurais pu écrire cette phrase-là moi aussi. Moi l’insatiable de mots, à travers la lecture et l’écriture. Même si je pense sans cesse que « je n’ai rien à dire ».

Il n’y a pas de hasard…

« Tout est là. Hier, aujourd’hui et demain. »
Ce roman arrive à un moment où je me pose beaucoup de question sur la création, je me débats encore avec cette fameuse 'autorisation', celle qu’on se donne à soi-même pour oser y aller.

Je me rends compte que même si j’écris (depuis si longtemps que je ne sais plus à quand cela remonte, sans doute à mes petits carnets/ journaux intimes de mon enfance), tout chez moi est secret, caché, enfoui.

Je ne m’autorise pas à dire.
Je ne m’autorise pas à faire.
Je ne m’autorise pas à exposer une idée, une pensée, un point de vue.
Toujours la peur d’être à côté, de dire une connerie, de ne pas être « à la hauteur »… On peut trouver ça idiot (je le conçois). Et pourtant j’en suis -encore- là, à 45 ans…

En tout cas, le curseur est en train de se déplacer tout doucement. Certaines choses commencent à se mouvoir imperceptiblement, à vouloir sortir de leur carcan. C’est une période de transition qui accueille un frémissement. Je sais que c’est celui du changement.

Ce roman est lumineux et libérateur. Il est porteur d’espoir tant ces deux parcours (celui de Doundounba et celui d’Halima) y sont exemplaires. Exemplaires dans l’élan, dans la foi, dans la force de vie qui pousse à être soi jusqu’au bout des ongles, non plutôt jusqu’au plus profond de ses cellules. Être soi profondément en réalisant ses rêves. En s’autorisant cette liberté d’être véritablement qui l’on est, quoi qu’il en coûte.

Je crois que chaque être humain possède ce pouvoir de création, chaque enfant l’expérimente, librement, sans jugement ni à-priori, en devenant adulte, on le perd, on l’on oublie (ou on le met de côté). Alors qu’il ne demande qu’à vivre et grandir.

Je crois qu’il est temps de se dire « je t’aime, ma vie ».
Temps de croire en soi.
Temps de croire en ses rêves.
Ce livre où la force des sourires, des rencontres, de la joie font naître les plus belles créations et réalisations.
Je crois qu’on est sur Terre pour ça, créer et se réaliser.

J’ai refermé ce livre avec la conviction qu’il était plus que temps de se faire confiance et d’aller au bout de ses rêves.
Alors, rêvons ! Allons-y, pour de vrai. Transformons !

Je lisais hier soir cette phrase « Change tes larmes en encre » en commençant le dernier livre de Sorj Chalandon (« Enfant de salaud »). Cette phrase résonne après la lecture de « Mané » et les mots d’Halima.
« Mané » change les larmes en or parce que la création transforme. C’est fort, puissant et généreux. Ça porte haut des valeurs en lesquelles je crois profondément, le besoin de création artistique sous toutes ses formes et ce regard assoiffé de beauté, sur chaque élément ou forme de vie de notre planète. Ce souffle créateur. Cet élan vital. De beauté en partage.

Il n’y a pas de hasard…
Le souffle de création précède toutes les naissances.


"Mané" de Laurie Wilbic et Ibrahima Kandé (Editions Red'Active)

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